L’oppidum de La Chaussée-Tirancourt

L’oppidum de La Chaussée-Tirancourt

Le parc de Samara abrite en son sein un précieux témoignage archéologique connu sous le nom de "Camp de César". Ce vaste plateau de 20 hectares est délimité à l'ouest et au sud par les vallées de la Somme et de son petit affluent : l'Acon. L'accès en direction d'Amiens est barré d'un puissant talus précédé d'un large fossé. Cette fortification encore visible de nos jours est longue de près de 600 m. Les spécialistes connaissent bien cette architecture qui trouve ses origines à la période gauloise et que l'on nomme "éperon barré".

La découverte du site et les premières campagnes de fouilles

Depuis le XVIIIe siècle de nombreux spécialistes ont disserté sur la fonction de cet édifice, sans effectuer de réelles fouilles.
En 1962, Roger Agache, précurseur de la prospection aérienne, découvre un second rempart arasé à l'intérieur des 20 hectares, présentant un schéma totalement inédit au sein de ce type de structure. Il faut attendre la fin des années 1980 pour que de véritables fouilles s'effectuent sur une petite partie du site (portes des deux remparts).
Les archéologues mettent alors au jour un campement militaire romain daté de 40 à 25 avant J.C.

L'oppidum à l'époque gallo-romaine

L’oppidum de la Chaussée-Tirancourt ou site du "Camp César" est l’un des plus remarquables camps fortifiés du nord de la France. Cet oppidum contenait à l’époque gallo-romaine, plusieurs milliers d’hommes avec leurs bagages et troupeaux et a été utilisé lors du passage de César dans notre province. Sa construction est antérieure à la conquête de la Germanie. Sur cet oppidum, une armée en marche a construit un camp retranché.

« Quand il (César) eut fait mettre les navires à sec et tenu à Samarobriva (Amiens) l’assemblée de la Gaule, comme la récolte de cette année avait été peu abondante à cause de la sécheresse, il fut obligé d’établir les quartiers d’hiver de l’armée autrement que les années précédentes et de distribuer les légions dans diverses contrées […] César résolut d’hiverner lui-même aux environs de Samarobriva avec trois légions dont il forma trois quartiers. »
Jules César. La Guerre des Gaules. v.24 et v.53

Il s’agit d’un site historique fortifié choisi par les armées de César pour ses défenses naturelles. Le Camp César est un promontoire de 20 hectares protégé par la vallée de la Somme, la vallée de l'Acon et le fossé Sarrazin, creusé de main d'homme. L'oppidum est classé Monument historique depuis 1862.

L'oppidum défend un passage obligé des marais de la Somme; le fleuve Somme est avant tout un axe de communication débouchant sur la Manche vers la Grande Bretagne. "La voie de l’Océan" édifiée sous le gouvernement d’Agrippa, entre 19 et 15 avant J.-C., importante voie stratégique qui relie l’Italie à Boulogne, ne passe qu’à 3 kilomètres au nord du camp.

Le plateau, délimité à l’ouest et au sud par les vallées de la Somme et de son petit affluent, forme un éperon qui domine d’une quarantaine de mètres la vallée de la Somme. L’accès depuis le plateau est protégé par une fortification longue de près de 500 m, en arc de cercle parfait, composée d’un large fossé couplé à une levée de terre ; le dénivelé entre la crête du rempart et la base du fossé atteint 11 m.

Dans sa partie médiane, là où passe aujourd’hui le chemin qui relie le hameau de Tirancourt au village de Saint Vaast, le système de fortification est interrompu sur une largeur de 5 m, ce qui marque l’emplacement de la porte antique (une maquette de reconstitution de cette porte est présentée dans l'exposition 600 000 ans d'Histoire).

L’espace enclos occupe plus de 20 hectares ; à l’intérieur de cet espace une seconde fortification, également de tracé circulaire, a été mise en évidence par la prospection aérienne. Cet aménagement totalement arasé ne subsiste plus aujourd’hui que sous la forme d’une ondulation presque imperceptible dans le paysage ; une interruption dans sa partie médiane apparaît nettement sur les photographies aériennes, elle révèle également l’emplacement d’une porte.

Fouillé de 1983 à 1993, le camp de La Chaussée-Tirancourt, est probablement le site fortifié de la fin de l’âge du Fer le mieux documenté au nord de la France.

Le matériel recueilli date de la seconde moitié du Ier siècle avant J.-C. et présente indéniablement un caractère militaire ; il se compose d’objets indigènes mêlés à des pièces caractéristiques de l’équipement du légionnaire romain. Le site est postérieur à la "Guerre des Gaules" et ne correspond pas à la notion d’oppidum telle que les archéologues la définissent aujourd’hui. Alors que depuis la fin du XIXème siècle il était interprété comme un oppidum celtique, il convient donc de le considérer comme un camp militaire romain.

Les installations de l’armée romaine, de l’époque de la conquête à la fin du Ier siècle avant J.-C., sont encore très mal connues, les sites identifiés pour cette époque sont particulièrement rares. Le camp de La Chaussée-Tirancourt constitue un site remarquable pour l’étude des débuts de la présence romaine dans nos régions.

Dès le début du XVIIIème siècle, les érudits se sont intéressés aux collines fortifiées qui jalonnent le cours de la Somme. Ces sites ont plusieurs points communs : une position de hauteur, une surface de l’ordre d’une trentaine d’hectares, des protections qui combinent des défenses naturelles, ici des pentes abruptes, et des aménagements architecturaux constitués par de puissants terrassements qui renforcent les points faibles ; la forme de la fortification, en arc de cercle, est une constante, sauf à l’Etoile où le rempart couronne le haut de la colline.

Dans la mesure où ces sites n’ont été que peu fouillés, leur histoire reste en grande partie inconnue ; seul le titre de "La Chaussée-Tirancourt" a bénéficié d’une étude d’envergure, avec 11 campagnes de fouilles successives entreprises dans le cadre de l’aménagement du parc de Samara.

Un peu d’histoire…

Le site de La Chaussée-Tirancourt se situe à une époque charnière de notre histoire, précisément entre la conquête romaine et le début de l’organisation administrative de la Gaule. Cette période d’une trentaine d’années est marquée par de nombreux troubles en Gaule comme dans l’ensemble du monde romain : conflit dû aux conséquences de la prise de pouvoir par César à Rome, le chaos d’une guerre civile qui ne prend fin qu’avec l’avènement d’Auguste, en 27 avant J.-C.

Notre région brusquement sortie de l’ombre avec l’intrusion des troupes romaines, en 57 avant J.-C. et le récit fourmillant de précisions que donne César de ses campagnes militaires en Gaule, retourne dans l’obscurité avec le retour de celui-ci en Italie. Suit alors une période mal connue où le regard se tourne vers la Méditerranée, là où se déroulent les opérations militaires les plus importantes et où se joue le destin politique de Rome. Du nord de la Gaule parviennent les lointains échos de révoltes sporadiques. Soulèvement des Bellovaques en 46 avant J.-C., des peuples de la Seine au Rhin en 39 avant J.-C., des Morins en 33 avant J.-C., révolte des Trévires et des Germains en 29 avant J.-C., enfin soulèvement des Aquitains la même année. Le conflit le plus important, la révolte des Morins réprimée en 31 avant J.-C., valut à celui qui les avait vaincus, le proconsul Carrinas, un triomphe à Rome.

Il est probable que les camps fortifiés répartis le long du cours de la Somme aient servi de base arrière aux quelques légions et aux troupes auxiliaires engagées dans les opérations de pacification du nord de la Gaule.

Au même moment, l’essentiel des unités romaines était engagé dans des théâtres d’opérations lointains. Une partie des effectifs recrutés était des soldats provinciaux non-citoyens ; c’est le cas de la légion V « alouette » formée en 52 avant J.-C. avec des Gaulois Transalpins. D’autres Gaulois combattaient dans les unités auxiliaires ; de retour au pays après plusieurs années de guerre, ils ont contribué à introduire de nouvelles idées, de nouvelles pratiques, et de nouveaux comportements dans la société gauloise, prémices de la romanisation qui n’intervient qu’au début du règne du successeur de César, l’Empereur Auguste.

Entre Protohistoire et Histoire, cette période voit la fin de ce que les archéologues appellent la culture de la Tène, du nom du site Suisse où elle fut pour la première fois mise en évidence, et qui correspond à la fin de l’âge du Fer. Elle ne prend fin qu’avec le règne d’Auguste et la réorganisation de la Gaule sur le modèle romain, nous sommes ici entrés dans l’Histoire.

Un ouvrage disponible à la boutique de Samara vous permettra de mieux connaître toute l'histoire de ce site historique : Le Camp César, un camp militaire romain du Ier siècle avant J.-C. à La Chaussée-Tirancourt, G. Fercoq du Leslay.

Trois belvédères ont été installés sur l'oppidum que vous pouvez découvrir en vous promenant sur le sentier de randonnée de la vallée d'Acon.

Chamboulement en septembre 2014, de nouvelles fouilles en 2015

Des sondages géophysiques menés par l’État sur le site dévoilent des anomalies antérieures à l'occupation romaine. C'est durant l'été 2015 que de nouvelles fouilles centrées sur le fossé intérieur viennent remettre en cause les données de 1989. Tout d'abord, les fouilles confirment les sondages dernièrement effectués. Le rempart intérieur révèle la présence d'un murus gallicus, qui est un rempart gaulois construit de poutres horizontales entrecroisés comblé de pierre et de terre. Ce type d'ouvrage défensif typique de l'oppidum est bien connu sur d'autres sites gaulois majeurs. L'occupation du site est donc bien antérieure à celle identifiée par les fouilles des années 1980. Autre surprise, et non des moindres, ce mur d'enceinte gaulois s’appuie sur une enceinte datant du Néolithique, période des premiers agriculteurs qui s'étend de 5 000 à 2 000 avant J.C. ! Et là, c’est une découverte majeure.

Au-delà de ces datations anciennes d'occupations, c'est tout un pan de l'Histoire qui se dessine petit à petit sous nos pieds. En effet, dans son ouvrage Guerre des Gaules, Jules César nous précise qu'en 54 avant J.C. il réunit un conseil des Gaules à Samarobriva, place fortifiée du peuple gaulois des Ambianii. Si les nombreuses fouilles archéologiques menées à Amiens ont bien démontré la présence du Samarobriva gallo-romain, aucune trace d'occupation gauloise n'y a été mise au jour. Après 40 ans de fouilles urbaines, on ne trouve rien de gaulois en centre ville en dessous de 30 avant J.C. Pourtant César dit bien dans son texte qu’il est à Samarobriva ? ...
Parle-t-il alors de la cité gauloise avant que celle-ci ne glisse dans le fond de vallée comme cela s’est fait en Gaule à l’époque gallo-romaine après la conquête ?
Beaucoup de travail reste à mener pour répondre à ces questions.

L’étymologie de Samarobriva, littéralement "Pont sur la Somme" et les récentes données archéologiques donnent à penser que Jules César aurait pu séjourner et réunir un concile des Gaules sur l'oppidum de la Chaussée-Tirancourt. Où installe-t-il alors toutes ses légions ? Sur les autres oppida de la Vallée de la Somme, comme Erondelle, l’Etoile et Mareuil-Caubert ? Ces sites ne regorgent pas de trésors archéologiques. Mais ils racontent peut-être la première page de notre Histoire de France. D'autant plus que les vestiges découverts à Samara témoignent de la présence d'une armée… Qui laissera les mêmes vestiges à Alésia deux ans plus tard en 52 avant J.C.
De surcroît, une croupe de sable de tuf, anomalie géologique, traverse la Vallée, de Samara jusqu’à Ailly-sur-Somme. Ce chemin naturel est encore visible et praticable. Il est aujourd’hui rompu par la Somme canalisée. De là à considérer le chemin formé par cette croupe de tuf comme un pont sur la Somme naturel, il n’y a qu’un pas. Mais que l’archéologie devra vérifier !

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